vendredi 8 novembre 2013

Fin

Mon aventure est terminée. Merci d'avoir été si nombreux à me suivre. Ça a été d'un grand soutien pour moi.


Game over.

Je me réveille difficilement, un fort bourdonnement me dérange. Je ne me suis même pas aperçue que nous avions déjà décollé. Mon voisin septuagénaire se moque bien de savoir s’il me gêne ou non. Après avoir pianoté sur son écran, jouant avec les variations de lumière qui me martèlent les paupières, il ne trouve rien de mieux a faire que d’allumer sa liseuse, attaquant son best-seller fraichement acquis lors de la visite duty free. Mon écran ne veut plus s’éteindre et le blanc scintillant de la page d’accueil finit de m’achever, alors que les ronflements généreux des sikhs bedonnants qui nous entourent, grondent, bourdonnent à mes oreilles. Ma nuit s’est terminée quelque part au dessus de l’Europe de l’Est, Odessa peut-être. Mon corps engourdi est perdu, flottant quelque part entre hier et aujourd’hui.

Il est déjà 9h à mon horloge interne alors que l’aurore est encore bien loin pour mes yeux. Une soupape de décompression spatio-temporelle. Un moment en suspend qui me permet de descendre quelque peu du perchoir d’émerveillement sur lequel je m’étais installée depuis ces derniers mois. Je pourrais comparer ce moment à ce que je ressens à la fin d’un spectacle, lorsque la magie se volatilise dans les dernières lueurs, que le noir se fait et que mon esprit, embourbé dans mes mondes imaginaires, est arraché à son errance par la brutalité des applaudissements.


Je reviens a ma réalité. Diane et Quentin repartent à Strasbourg, quant à moi je vais dans le Berry. Je m’accorde encore quelques jours de répit avant de revenir pour de bon. Dans le train qui m’emmène à Bourges, je m’aperçois, décontenancée, que même si de mon côté, j’ai mis ma vie entre parenthèses, sans moi tout a pourtant continué à avancer. Le monde peut évidemment se passer de moi, je ne suis pas indispensable, quoique…! Mais, inconsciemment, je pensais retrouver les choses là où je les avais laissées. De mon côté, le temps s’était comme arrêté, figé. Revenir brutalement à cette réalité me donne l’impression que ces dernières semaines n’ont pas existé. Comme un songe épicé qui se disloque au réveil.

Je suis dans le train -le Strasbourg Express- à relire mes textes, regarder mes photos pour essayer de comprendre ce qui m’est arrivé, pour tenter de mesurer cette chance que j’ai eue de m’accrocher à ce petit rêve. Faire le point, si c’est possible.


L’Inde a été une balade entre l’ombre et la lumière, entre deux mondes. Entre l’Europe et l’Asie. Entre la délicatesse et la violence, l’amour et le dégoût. J’y ai beaucoup appris sur moi et sur ma petite vie, du moins celle que je vivais jusque là. Je pensais découvrir une culture et des gens et, même si ça s’est produit, c’est moi que j’ai fini par trouver. Ils m’ont aidé à me découvrir, à me connaître davantage. J’y ai souvent été perdue pour mieux être sauvée. J’y ai été déroutée et enjouée, apeurée et émerveillée par ce magnifique enfer. L’Inde m’a retournée.

Elle nous change, c’est cliché mais, dans mon cas, c’est la réalité. Peut-être pas pour toujours, ma nature va surement finir par reprendre le dessus. Mais j’aimerais croire que jamais je n’oublierai ce qui m’a tant fait vibrer, que jamais je n’oublierai la magie et la beauté de ce voyage au bout de l’envers.

mardi 5 novembre 2013

I need more.

Mon voyage se termine déjà. Ces presque trois mois sont passés en une seconde. J'en veux plus, j'ai besoin de plus ! Mais, comme dit Namrata : "C'est pas grave, c'est la vie."
Après la première représentation, nous célébrons mon presque départ avec mes amis. Une rooftop party pour boucler la boucle. Je voulais surtout montrer à Diane et Quentin -remis de sa tourista - ce qui avait fait de ma vie ici, un enchantement, enfin pas non-stop, restons réaliste et ne tombons pas dans la nostalgie pré-départ. Je suis contente qu'ils soient avec moi pour ce moment. Sabina et Johanna nous accueillent pour l'occasion. Sameesh, Charandeep et Shreya sont là et quelques nouveaux "expats" que je n'aurais pas la chance de connaître davantage. Sven et Malte sont rentrés en Allemagne pour l'enterrement de Judith et Ankit est parti dans sa ville natale s'occuper de sa mère malade.

Tous mes amis sont venus à la représentation ce soir, je n'ai pas eu à les supplier, à les relancer. Alors qu'en France ça me paraît toujours très compliqué de mobiliser les gens, ici, c'est d'une simplicité déconcertante et j'apprécie. J'ai eu la chance de rencontrer tous ces gens, qui m'ont ouvert les bras et offert leur amitié sans tenir compte des différences culturelles, ethniques, religieuses ou même linguistiques. Ils m'ont juste prise comme j’étais. Les codes de la vie sociale, enfin, pour les personnes que j'ai rencontrées, me conviennent mieux que ceux que nous utilisons en France. Ce que tu fais leur est égal, ton métier aussi. Ils veulent te connaître toi et la construction de ta personnalité ne passe pas par ta fonction. Je ne connais d'ailleurs rien de la vie professionnelle de mes amis et il en était de même pour eux jusqu'à ce qu'ils assistent à la représentation. Il y a sûrement des choses que je ne mesure pas et dont je n'ai pas conscience. Je ne suis pas sure que l'amitié soit toujours si instinctive. Même s'ils m'ont assuré que les différences de religions n'étaient d'aucune importance, est-ce toujours le cas ? Je suis cependant bien obligée de constater que je n'ai rencontré aucun musulman alors que c'est l'une des religions les plus importantes du pays, surtout dans le nord. Je ne comprends pas vraiment grand chose au système des castes. Je ne sais pas trop d'ailleurs comment il serait possible de comprendre quelque chose d'aussi barbare et archaïque. Mais est-ce un nouvel élément qui influe sur les relations amicales ?

Même si je m'en suis amusée le temps de mon voyage, le regard de mes amis indiens à mon égard, même s'il a toujours été bienveillant et respectueux, n'a pas toujours été facile à gérer. 
Je ne vous ai pas beaucoup parlé de Sameesh, peut-être pour garder mes distances avec lui. Nous nous sommes beaucoup vus, nous avons appris énormément l'un de l'autre. Il ne comprenait pas vraiment mon désir de "ne pas vouloir profiter de mon voyage" et de rester accrochée à Quentin. Je lui disais souvent qu'il comprendrait quand il le rencontrerait. Et, en effet, c'est ce qui s'est passé. Et malgré ça, malgré mon insistance à lui dire non, il a persisté. Sur le toit de Sabina, je le revois, les yeux embrumés par le Whisky à l'eau, me dire : "Je ne veux que ton bonheur et j'espère que tu l'auras avec Quentin, mais on ne sait jamais : garde mon numéro !" 



Il fait bon, une brise légère nous caresse, la moiteur et la chaleur étouffante ne sont plus d'actualité. Nous sommes bien. Je prends un moment pour observer mes amis, la nostalgie s'empare de moi et il flotte dans l'air comme un goût de fin de vacances d'été. Ce moment est parfait. Entre la joie extrême et la peine inconsolable. J'aimerais qu'il s'éternise. 





Nous partons suffisamment tôt pour pouvoir occuper notre journée… du shopping… le lendemain matin avant que je ne reparte pour le théâtre.
Dans l'auto-rickshaw qui nous ramène à Defense Colony, Quentin me dit qu'il comprend mieux pourquoi je me suis sentie si bien ici. Les gens me ressemblent, je n'ai pas à faire le clown de service ou la boule d'énergie qui tente d'entraîner le groupe. Ici, tout le monde est comme ça. Les gens sont dans la vie et libérés, au moins en apparence, de leurs contraintes quotidiennes, ils vivent et la spontanéité et leur maître-mot.
Dernier jour de shopping, nous en avons encore beaucoup trop acheté ! Sarojini market, je me remémore l'épisode avec Vishal et le vendeur de limonade, le dernier après-midi avec Jay, avant son retour aux USA. 



Le soir de la seconde représentation est vite arrivé. Nous passons un moment détendus, dans les loges, avant d'attaquer cette ultime soirée. Comme la veille, tout se passe bien. D'autres amis sont venus ce soir, les français : Simon et Massimo. Et voilà, juste comme ça tout est terminé. Neuf semaines de travail qui s'évaporent en un clin d'œil. La salle se vide. Utpal, sur le plateau, commence déjà à diriger les techniciens pour le démontage. Grâce à lui, nous avons pu déjouer les contraintes que nous imposait ce vieux matériel défectueux et faire naitre un petit quelque chose. Un peu fébrile, je le remercie pour son aide et sa patience, il me félicite, une poignée de main appuyée et nous nous quittons. 
Pour ma dernière soirée et pour la dernière soirée de la résidence, nous nous rendons chez Massimo qui a bien voulu nous prêter son toit. La soirée est drôle mais je n'y suis déjà plus. Contrairement à la veille, je suis déjà un peu rentrée en France. Une kingfisher à la main, je regarde ces gens que j'ai côtoyés tous les jours depuis le 19 août et je me dis qu'ils vont me manquer. Asha s'approche de moi et m'arrache à ma réflexion mélancolique.


"Je voulais te présenter mes excuses, me dit-elle. Au début, je ne croyais ni en toi ni en ton travail. Mais je regrette et je sais maintenant que c'était une erreur. Merci pour ta lumière, merci d'avoir mis un peu de magie dans mon travail."


Je suis sous le choc et je reste silencieuse. J'ai envie de lui dire que ça lui servira de leçon, qu'il ne faut pas juger avec tant de hâte et de férocité, je voudrais lui reprocher d'avoir été si désagréable. Je finis seulement par lui dire que ce n'est pas grave. Elle reste avec moi un long moment à discuter et je finis même par apprendre qu'elle comprend le français. Elle aurait pu me le dire plus tôt si j'avais su, ça aurait facilité le peu de dialogue qu'il y avait entre nous. Et après huit semaines et demie de silence froid et dédaigneux, maintenant, elle ne me lâche plus ! 
Tout le monde est parti, Nikita tente de me retenir par tous les moyens. Elle se met même à faire des Cookies à 2h du matin ! Je finis par rentrer.

Le dernier jour est arrivé. Je n'ai pas passé une bonne nuit. Diane et Quentin dorment encore. Au milieu, les yeux rivés sur le ventilateur, je pleure en silence. Une triste ironie m'apparaît alors : la boucle est bouclée, je n'aurai pleuré que deux fois la nuit de mon arrivée, seule et fatiguée à devoir dormir dans le hall de l'aéroport, et le dernier jour. Ce soir là, embourbée dans mes sacs je ne savais pas très bien quoi faire de ma peau. Mon corps était las d'attendre que mon esprit atterrisse à son tour. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Même si physiquement je suis à Delhi, je constate que ma tête est déjà rentrée en France.




Ultime matinée, il nous a fallu une heure et demie pour faire nos bagages mais tout a fini par rentrer ! J'aurais pu acheter plus de choses finalement. Un Mendhi pour la route, un petit souvenir à même la peau qui disparaîtra en une dizaine de jour. Un moyen supplémentaire pour agrémenter et faciliter le retour, la transition. 



Un petit tour par Gati pour une "feedback session". J'en profite, puisse qu'on me donne la parole, pour faire remarquer surtout à la compagnie qu'ils doivent mesurer l'importance de la lumière dans le spectacle vivant. Que sa fonction première n'est pas de montrer mais d'apporter de la magie, de l'illusion, de guider l'oeil du spectateur, avoir conscience de ce qu'on lui laisse voir mais surtout de ce qu'on lui cache. Même s'il semble instinctif pour les danseurs de travailler leur chorégraphie, leurs mouvements en musique, travailler avec la lumière devrait tout aussi important. Bien sur il n'est pas nécessaire de danser en musique, mais ça relève déjà d'un choix alors que travailler sans lumière découle souvent de contraintes techniques ou d'un manque d’intérêt. Je commence à dire au revoir, peut-être pas pour toujours mais pour un bon moment au moins. Asha pleure en quittant Nikita avec qui elle a vécu. Nimit s'en va sans saluer personne. Mandeep me félicite pour mon travail. Est-ce seulement l'effusion liée au dernier jour ou est-ce sincère ?
Une dernière petite folie, vite ! Il nous reste quelques heures. Quentin enfourche le scooter et part avec Parvathi. Nous nous retrouverons à GK Market. Dans l'auto avec Nikita, son sac de voyage, Diane et moi, nous passons un moment, bloqués dans les embouteillages. Nikita en profite pour m'offrir un petit cadeau : un mug sur lequel elle a fait imprimer plein de photos de nous et de tous les bons moments que nous avons partagés. C'est ma tasse préférée, je prendrai mon petit déjeuner avec, tous les matins !
Dans la précipitation, Nikita nous quitte et part prendre son avion pour retourner à Pune. Une dernière étreinte. Je réalise que ça va commencer à être difficile de dire au revoir à ceux qui ont été les plus proches de moi. Son auto-rickshaw file comme l'éclair, elle me fait un signe de main à travers la toile jaune puis disparaît dans le trafic. Nous arrivons enfin à retrouver Quentin et Parvathi, pour faire un petit tour chez Silofer… pour un nouveau piercing ! Oui, je sais ! 




Parvathi doit partir, son avion décolle demain matin pour rejoindre sa famille et elle n'a pas fait sa valise. Sur le parking bruyant du market, elle affiche un grand sourire et des yeux humides. Une longue et douloureuse étreinte avant qu'elle ne remonte sur son scooty et disparaisse à son tour, dans la circulation incessante.
De retour à la maison, Sameesh, Sreya et Namrata dînent avec nous. Le taxi nous attend. Sur le parvis de la maison, je dis au revoir à mon amie, nous ne savons pas quoi dire, de toute façon les mots sont inutiles. Le taxi dépose Shreya et Sameesh sur le chemin. Ça y est, cette fois, mon voyage est bel et bien terminé. Seule avec Quentin et Diane, je me laisse submerger par mes émotions une dernière fois.

Au bar de l'aéroport, j'achète une bouteille d'eau, la serveuse me dit quelque chose en hindi, voyant que je ne comprends pas, son collègue traduit "Vous êtes très belle." Et je réalise que c'est ça qui m'a manqué le plus : passer inaperçue.

mercredi 30 octobre 2013

All the best.

Ça y est nous y sommes, j'y suis arrivée. Non pas que je doutais de moi mais j'ai toujours cette crainte de ne pas pouvoir assurer autant que je le voudrais. Gati doutait de moi. Au début, je ne devais être là que pour observer le déroulement d'une résidence. Puis j'ai eu le droit de suivre chaque danseur un peu à la façon d'un mentor, la retenue et l'admiration en moins. Ensuite, ils m'ont confié, après pas mal d'insistance de ma part, la création lumière et même la responsabilité de certaines séances photos, pourtant bien loin de mes prérogatives! Grâce au soutien de Parvathi, j'ai réussi à m'imposer et à me charger de la création ainsi que de la régie. C'est elle aussi qui a choisi que je collabore avec Utplal, qui a tout fait pour que mon travail soit le mieux possible et dans les meilleurs conditions. Je le revois me filiciter et me remercier, de quoi je ne sais pas trop. 

La faiseuse de lumière ! 

Je suis une grande maintenant ! Je respire le contentement, une belle énergie m'entoure et court dans tous les sens. Je suis prête et je me sens bien. Je n'ai pas grand chose à dire sur le spectacle, pas de couac. Mes mains sont devenues moites et les deux heures de spectacle sont passées en un clin d'oeil. La fin arrive et je suis toujours déçue de ne pas pouvoir continuer le show. Tout s'est bien passé et nous sommes tous très contents et fiers du travail accomplis. Ce n'est pas une finalité, pour aucun d'entre nous, ce n'est qu'une étape. Il y aura surement un avant et un après Gati. 


J'ai vu ces gens évoluer et s'ouvrir, grandir et se trouver et c'est surement ce qui m'est arrivé. La métamorphose la plus belle, celle qui me touche le plus est celle de Namrata. Quand je l'ai rencontré, elle était une mère, une femme et une danseuse de kathak un peu barrée. Aujourd'hui elle est belle, elle est libre. Toutes ces choses qui la définissaient avant sont toujours d'actualité mais plus seulement. Elle a réussi à ouvrir une brèche, elle a fait péter la soupape. Elle s'est détachée des convenances, elle s'accorde la possibilité de trouver sa voix, de trouver sa propre impulsion. S'accorder le droit à la liberté. Cette résidence marque le début de quelque chose de nouveau pour elle, une nouvelle vie d'artiste, une nouvelle vie de femme et je suis contente d'avoir pu participer à cet épanouissement. 

mardi 29 octobre 2013

GDSR

GATI DANCE SUMMER RESIDENCY - The End

Ça y est c'est la fin, la dernière ligne droite. Je suis dans le théâtre du British Council. Mes techniciens font une pause, une de plus. Et j'en profite pour me poser un moment, prendre le temps d'écrire avant de tout oublier. Il n'est pas encore l'heure du bilan. Je suis au milieu de la semaine la plus dense, la plus critique de la résidence. C'est enfin MA semaine. 


Utpal, mon régisseur, est à mes côtés pour être le plus efficace possible. Je ne parle pas hindi et ici, plus qu'ailleurs, je suis désarmée. Utpal est un éclairagiste d'environ 35 ans ; malgré son expérience et son savoir-faire certain, il fait bien attention de m'inclure dans chaque décision et à ce que ce projet reste le mien. Je suis frustrée toutefois. Les réglages ne sont pas précis, l'emplacement du point chaud, de l'ouverture ou de la qualité du faisceau sont plus que discutables. Les projos sont vieux et d'intensité aléatoire. Il m'est difficile d'expliquer à quel point j'aime être claire et précise dans les lumières que je choisis, l'importance de ce foutu point chaud, du choix de tel type d'ombre ou de telle qualité de lumière j'ai choisi de travailler avec les danseurs.
Eux, comme moi, se retrouvent un peu désarçonnés face à cette déception technique mais nous devons nous en contenter.


Namrata est la première à tester l'espace en lumière, en retard bien sûr, et, évidemment, nous n'avons pas assez de temps pour affiner les réglages. Même si, sans le son et avec une lumière bancale, nous sommes encore loin du rendu qu'elle obtiendra lors de la performance finale, je vois ces images que j'avais en tête depuis le début, depuis la première discussion il y a 8 semaines. L'animalité, la sensualité, la force, la féminité et l'humour, tout y est. J'ai hâte de voir à quelle précision elle va pouvoir arriver. Elle qui voulait n'être habillée que de lumière semble y renoncer face à la désapprobation de son mari (suisse). Pour faire illusion elle utilise un demi-sari dans lequel elle est enroulée et qui lui fait comme un maillot de bain couleur caramel, comme sa peau.

Quelle lumière pour elle ? Nous en avons beaucoup discuté pour trouver la bonne solution, un support, une ambiance. Depuis le début, depuis ma présentation plutôt, la ligne est présente. Je ne m'en déferai jamais de cette simple forme que j'utilise pourtant depuis un bon moment. Cette fois elle est verticale, de la hauteur du corps de Namrata, d'une largeur de vingt centimètres et frontale. Un rapport se crée entre cet outil et son corps, duquel découlent des mouvements, des rythmes. Sa proposition est si singulière et si étonnante, voire dérangeante, que j'ai voulu en rajouter et la soutenir dans ce choix courageux. Mis à part cette ligne pour sa première partie, elle n'est éclairée qu'en douche, blanche et rouge à tour de rôle. Les ombres de son corps la sculptent et portent sa métamorphose et les différents rôles qu'elle incarne. Sa grande question, au delà de se libérer, était de pouvoir intégrer ses trente ans de formation de Kathak à cette performance. Une des caractéristiques en est le tempo très soutenu et les correspondances rythmiques entre le corps du danseur, sa voix et les instruments. Elle en a fait une frénésie effrénée de quelques secondes où son corps, dans tout son ensemble, se meut de façon épileptique. Comme engourdie après tant d'énergie, elle achève son voyage par un chant très doux sur fond de tempora nous laissant dans l'expectative la plus complète, sans repères temporels ou spatiaux. Tout comme elle doit l'être, d'avoir donné tant d'énergie, le spectateur est vidé, épuisé et galvanisé à la fois.

Asha la perfectionniste indienne de naissance polonaise - comprendront ceux qui voudront ! - est la suivante à se présenter. Elle qui cherche toujours à ce que tout soit parfait est désabusée par le degré zéro de finitions de la lumière ; elle m'en tient bien sûr pour responsable. Depuis quelques semaines je sens beaucoup d'animosité. Elle ne m'aime pas du tout, elle reste froide et méprisante. Comme dit Antonio, le quatrième mentor de la résidence à nos côtés pour les 2 dernières semaines, elle est rarement contente de quoi que ce soit !


Son projet n'a pas vraiment évolué depuis le début. Elle est très fermée d'esprit. Je crois que c'est pour ça qu'elle a arrêté de me consulter au fil des semaines, je lui soumettais trop de changements. Sa pièce est un dialogue entre la vie et la mort, déjà ça annonce bien la couleur ! J'ai cru comprendre que c'était en hommage à sa mère décédée. Je ne pense pas qu'il y en ait plus à dire pour la cerner. Elle m'a fait part de ses idées de lumière il y a 3 semaines déjà, une lumière chaude et bienfaitrice pour les moments de vie et une lumière froide et éblouissante pour les moments de mort… Une révolution du plateau, un changement hors du commun à des années lumière de toute l'imagerie théâtrale classique… SARCASME ! Je ne veux pas la braquer, je vais me servir de ce désir qu'elle a, mais en le transformant pour arriver à quelque chose d'un peu moins littéral et d'un peu plus subtile. Chacun son job, elle ne me demande pas de danser, je ne lui demande pas de créer la lumière, mais le comprend-elle ?Pour couronner cette rigidité autoritaire, elle a la dingue. C'est la saison paraît-il.

Pour conclure cette première journée dans le théâtre, c'est au tour de Nimit de se produire. Je n'ai jamais vraiment réussi à le cerner. Il ne parle pas beaucoup, et certainement pas avec moi. Il n'est pas vraiment désagréable mais loin d'être amical. Un peu comme Asha mais la fragilité en moins.


Mon travail pour lui est beaucoup plus basique. Son installation dans l'espace est très simple et graphique : cinq élastiques blancs de cinq centimètres de large tombent des cintres et sont tendus, retenus au sol par des briques noires. Il est donc assez facile pour moi de le mettre en lumière. Quelques latéraux, un peu de face et de contre et les élastiques font le reste. Je ne me suis pas vraiment souciée de son projet. Je ne sais même pas vraiment de quoi il s'agit. Sur les six danseurs dont j'avais à m'occuper, il est celui qui a le moins titillé ma curiosité.

Cette première journée se termine. Je me suis souvent sentie fatiguée depuis que je suis en Inde, la chaleur surement… ou la vodka peut-être. Mais aujourd'hui, c'est la première fois que je suis fatiguée pour une vraie bonne raison. Une journée enfermée dans un théâtre à régler des projecteurs, à faire des aller-retour entre le plateau et la cabane haut perchée qu'est la régie. J'aime cette fatigue. C'est le seul endroit, le seul moment où je ne pense à rien d'autre, où je n'ai pas envie de faire autre chose. Le temps s'arrête, que je sois à la console, sur la scène, dans la tour à me bruler les doigts sur des projos bouillants ou à découper des gélatines, je ne pense à rien d'autre, je débranche. Moi qui suis tout le temps en train de courir partout, le théâtre est mon antidote ou ma kryptonite peut-être.


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Deuxième jour. Bhumika est prête pour son filage. Ça doit faire dix jours que je ne l'ai pas vue, la dingue l'a alitée elle aussi. Fiévreuse et patraque, sa bouteille de glucose à la main, elle enchaîne ses mouvements. Nikita et Rahul sont déjà dans les gradins avec Antonio, fidèle au poste, pour l'encourager. Leurs horaires de répétition sont dans plus d'une heure mais ils ont tenu à être présents pour le retour de Bhumika. 

L'ambiance entre les danseurs n'est pas du tout la même. Hier, c'était un peu chacun pour soi, aujourd'hui on sent davantage l'esprit d'équipe, la fraternité. Les trois danseurs d'hier sont plus âgés, la trentaine dépassée ; les styles sont plus forts, plus assumés. Ceux d’aujourd’hui sont plus jeunes, autour de 22 ans. Ils débutent leur carrière, sont moins réfléchis et plus impulsifs. L'énergie est plus positive et le travail de chacun s'en ressent. Du travail de Bhumika, je ne pourrais pas en dire grand chose, non pas que je ne m'y sois pas intéressée mais je pense qu'il est le moins avancé. L'enjeu de cette résidence n'était pas de présenter une performance parfaite et aboutie. Elle n'en est qu'au début. Certains moments sont des trouvailles d'inventivité mais l'ensemble ne fonctionne pas. Elle a voulu s'inspirer d'un livre pour sa pièce et elle s'y est enfermée. Si elle veut continuer cette recherche, je pense qu'il lui faudra se ménager du temps pour prendre de la distance et se libérer.

Vient ensuite le tour de Nikita, accompagnée d'Isba sa danseuse. Depuis huit semaines maintenant, elle travaille d'après les expériences qu'elle a pu faire, et que les femmes font en général, sur le regard que les hommes posent sur elle. Les premières semaines, nous avons beaucoup discuté de la gêne de se sentir observée, de ce sentiment d'insécurité, de ce droit que certains hommes pensent avoir, de cette supériorité sur les femmes. À un moment où je ne comprenais pas vraiment l'image que je renvoyais et les effets que je semblais provoquer malgré moi, de l'avoir, elle et ses questionnements, à mes côtés, m'a aidé à ne pas me sentir seule ou coupable. 


Ces deux danseuses explorent les réactions, les impulsions, les crispations du corps face à l'agression. Elles ont également retranscrit des expériences qu'elles avaient subies. Elles sont courageuses d'oser aborder un tel sujet, surtout dans ce pays ; une lutte silencieuse et gracieuse pour militer en faveur du droit des femmes. Nikita appréhende un peu le regard de son père sur sa création. Nous verrons bien.

Rahul, plein d'énergie comme à son habitude, entre en scène. Il court dans tous les sens, façon électron libre ou balle de flipper. Son travail s'inspire du jeu d'échec. Tour à tour il incarne les différentes figures du jeu dans un espace fictif, délimité par le plateau du jeu. Il est le plus jeune mais sa fraicheur, sa créativité et sa liberté de mouvement sont une leçon d'humilité pour tous les autres. Ils restent bouche bée devant ce petit homme aux excellentes connaissances et d’une maitrise parfaite de son corps. Il est volage et papillonne d'idée en idée. Il ne se fixe jamais mais reste toujours dans une extrême précision.


La journée s'achève, je suis épuisée et je n'ai pas vu passer cette journée. Je ferais mieux de les savourer, il ne m'en reste plus beaucoup. Mon seul indice pour m'apercevoir que le temps passait était la faim. Demain, répétition générale avant le jour J.

Quentin et Diane sont partis à leur tour à la découverte du triangle d'or. Je me sens bien et j'avais besoin d'être seule pour ces derniers jours.


mardi 22 octobre 2013

Himalaya Birthday.


En Inde, j'aurai aussi soufflé mes bougies. Pour leur première vraie soirée à Delhi, j'initie Diane et Quentin au breuvage subtil et magique qu'est l'eau indienne, enfin à la vodka. Mes amis sont presque tous présents et heureux que nous soyons réunis pour cette occasion. Cette fête se passe comme toutes les autres, toutes celles auxquelles j'ai pu assister, une seule différence cependant, un sort particulier est réservé à celui qui prend une année. 


Porté comme un cochon pendu par les autres, il se prend autant de 'bump', de (gentils) coup de pieds que son âge plus un, pour porter bonheur. Moment un peu générant, pendant lequel j'étais plus que mal à l'aise, mais typique au moins. Un anniversaire à l'indienne, et alors que je profite de cette chance que j'ai d'être bien entourée, par tant de bonté et de joie, par tous ces gens que je ne connais que depuis quelques semaines, je prends conscience que je ne veux pas rentrer en France mais rester ici, avec ces gens qui m'acceptent pleinement, à 100% avec mon anglais pourri et mes bizarreries. 


Je ne suis pas devenue amoureuse de l'Inde parce que c'est le pays le plus merveilleux au monde, loin de là. Je suis tombée amoureuse de cette vie à Delhi parce que je suis heureuse.

Le 11, jour de mon anniversaire, Namrata est venue frapper à ma porte de bon matin, à 8h30, dans ses mains un énorme gâteau au chocolat. Diane et Quentin encore en pyjama, replient le lit et nous nous asseyons pour savourer ce gâteau. Une autre tradition, plus jeune celle-là, enfin surtout pratiquée par les nouvelles générations, t'en prendre plein la gueule pour ta nouvelle année. Namrata, armée d'une part me ferait une beauté. Débarbouillée et la peau douce suite à ce gommage au sucre, improvisé, nous dégustons enfin ce petit dèj royal, avant que je parte travailler. 

Une pluie diluvienne se déchaine à l'extérieur, la mousson devrait pourtant être finie depuis longtemps. Le vendredi c'est jour de pluie. Alors que je suis assise à passer ce bon moment entourée de mes amis, je repense à la semaine dernière. 

Vendredi 4 octobre, il pleuvait aussi et j'étais abattue. La pluie semblait refléter l'état de tristesse dans lequel la mort de Judith m'avait plongée. J'avais passé la journée avec Nikita, Massimo et Simon. Nous étions allés voir un film amateur à l'alliance française, puis nous avions dîné. Après avoir foutu le cafard à tout le monde, j'avais rejoint chez Shreya, Sven et Malte. La première fois depuis Amritsar que je les revoyais. Ils avaient l'air déconnectés mais simplement contents de me voir. Contents que je vienne partager ce moment de recueillement avec eux. Nous n'avons pas parlé de Judith, nous n'avons d'ailleurs pas vraiment parlé, et pour dire quoi de toute façon ? Nous avons juste pris le temps d'être ensemble. Les parents de Judith ne viendront pas, son corps sera renvoyé en Allemagne dans les jours à venir. Ils ont refusé l'autopsie parce qu'ils disent ne pas pouvoir faire confiance aux expertises indiennes, qu'ils ne peuvent rien croire de ce qui vient de ce pays. Beaucoup d'éléments vont dans le sens du suicide et plutôt que de se torturer avec des découvertes qui peuvent être monstrueuses, ils préfèrent en rester là et commencer à essayer de continuer à vivre. Sven et Malte qui travaillaient dans la même ONG qu'elle, ont décidé que, malgré la peine, ils veulent continuer et mener leur mission à son terme. La seule chose qu'ils ne peuvent plus supporter c'est leur appartement, hantés par le fantôme de leur colocataire. 

Je nous revoie discutant dans le train vers le Golden Temple. Choquée en apprenant leur jeune âge, - comment elle se la pète trop depuis qu'elle à 24 ans la fille! - je leur avais demandé ce qu'avait dit leurs parents à propos de leur voyage. Judith, le regard confiant et enjoué me répondait en français, pour elle et ses compagnons, et me confiait que, même s'ils étaient inquiets, ils lui faisaient confiance et ils étaient conscients de l'expérience incroyable qu'ils offraient à leur fille…

Je fête mon anniversaire donc. Après ce repas festif, Namrata me conduit à mon rendez-vous avec mon régisseur pour préparer la dernière semaine de la résidence, la dernière semaine déjà. Il pleut toujours. La ville habituellement si sèche et poussiéreuse change de visage ; les rues si surpeuplées, grouillantes et bruyantes sont vides. Seuls les chiens errants se baladent. Nous ne parlons pas beaucoup. Nous prenons juste le temps d'apprécier la beauté de ce paysage urbain détrempé. 

Depuis quelques jours, je montre la ville et la vie déliite à Quentin et Diane. Ils ont l'air bien détendus, beaucoup plus que moi lors de mes premiers jours. Je leur explique les combines, le marchandage, les choses à voir. 

Peut-être que je m'occupe trop d'eux et que je les empêche de se perdre. C'est ce sentiment, pourtant si effrayant, du début qui m'a amenée à être si bien par la suite. Bon, je ne vais pas culpabiliser non plus d'être une bonne guide touristique ! Leurs premiers jours, ils ont eu droit au même parcours que celui que le colonel nous avait montré en commençant par India Gate. Arrivée ensuite au Lodhi Garden. Un garde nous accueille à l'entrée des monuments du parc et nous demande notre nationalité, nous répondons en cœur. Puis il se retourne et redemande la même chose à Diane. Un peu surprise, elle répond de nouveau. Il ne la croit pas et repose une nouvelle fois sa question. 

"You know, there is black people also in France !"

Nous le prenons sur le ton de l'humour, malgré le fait qu'il ne veuille toujours pas la croire. Pourquoi tant d'insistance et pourquoi ne la croit-il pas ? Par manque d'éducation peut-être. Des discussions que nous avons eues avec Namrata, et il commence à y en avoir eu un paquet, nous en arrivons à chaque fois à cette conclusion : le plus gros problème de ce pays, au delà du nombre bien sur, c'est l'éducation.

Pour mon dernier week-end de liberté en Inde, je décide de quitter cette fourmilière et entraîne mes amis dans mon exil enjoué. Nikita nous suit dans ce petit périple, nous partons à Kasauli, sur les premiers reliefs de l'Himalaya. 


Après moult négociations avec Vinay, le chauffeur dragueur, nous finissons enfin par tomber d'accord. Quel plaisir de quitter Delhi pour quelques jours et de retourner un peu à la nature et à cette excitation de la découverte qui était mon moteur deux mois plus tôt. Après plusieurs heures de dos d'âne, de temps perdu au passage à niveaux pour laisser passer le train le plus lent du monde, nous arrivons dans la nuit à notre hôtel. 





Une bonne nuit de sommeil et il petit déjeuner plus tard, nous nous dirigeons vers le top, les montagnes. Dans ces routes sinueuses, bordées de sapins et de maisons luxueuses en construction, les voitures usent et abusent du klaxon et doublent dans les virages. Malgré cette petite voix qui me dit que, indépendamment des prouesses de conduites de notre chauffeur, nous n'allons pas tarder à faire un vol plané, mes yeux aperçoivent au loin des monts enneigés. L'air est clair, pur et sans pollution.



Arrivés à Kasauli, nous prenons un moment, juste pour contempler cette nature. C'est tellement beau que je pourrais en pleurer. Le paysage semble sans fin. Et il fait froid. Le froid. J'avais presque oublié ce que c'était, il ne fait jamais moins de 29°C à Delhi. Ça fait du bien, ça me manquait, je crois. Nous flânons à travers les villages, prenant le temps de ne rien faire, profitant juste d'être là. Vers midi, le ciel se voile. Les nuages envahissent la vallée. Les montagnes semblent flotter dans le ciel, je ne sais plus où s'arrête la Terre. Il m'est impossible de distinguer l'horizon. Perchés sur notre point d'observation, nous passons un moment à contempler la nature, à flotter dans ce rêve vaporeux.



Un peu de shopping – ENCORE ! - je ne perds pas le nord, puis, une pause dèj. Nous décidons d'aller voir l'autre versant de la montagne sur laquelle nous nous trouvons. Un petit détour par la voiture pour nous délester de nos emplettes, et Vinay change ses plans. Il nous explique qu'il doit partir dimanche matin tôt pour une célébration religieuse, et nous avec. Il est plus agressif que lors de notre premier voyage. Il est trop familier et, avoir une indienne avec nous n'a pas l'air de lui plaire. Son anglais est approximatif et il ne parle, du coup, qu'en hindi. Nikita se retrouve donc seule pour se dépêtrer de cette situation. Nous finissons par trouver une solution, il partira à Delhi ce soir pour revenir demain après-midi. Il ne semble pas comprendre qu'il va être moins payé. Tant pis pour lui.



Notre intermède logistique terminé, nous partons marcher dans la nature himalayenne, oui je sais : c'est la classe ! Après un moment sur un chemin de randonnée, nous croisons un groupe d'hommes qui nous indiquent que ce chemin ne mène à rien. Persuadés qu'il y a forcément une vue imprenable sur les hauteurs, Nikita et Quentin commencent à gravir cette pente raide. Avec Diane, nous fermons la marche, bon, c'est parce qu'on est petite ! J'ai mal, ma cheville droite m'empêche de progresser dans l'ascension de notre mini Everest. 


Mardi dernier, je suis partie chercher Diane et Quentin à l'aéroport et évidemment, j'étais en retard, Delhi trafic oblige. Dans les couloirs interminables de la station de métro, j'ai couru, vite, très vite, enfin pour mes petites jambes. Mes tongues glissaient régulièrement de mes pieds. Et là, inévitablement, ma cheville s'est tordue. Je suis arrivée vingt minutes après leur atterrissage. Et j'ai attendu, devant la porte vitrée de l'arrivée des voyageurs pendant une heure. J'ai eu peur de les avoir manqués alors j'ai voulu rentrer dans l'aéroport. J'avais de quoi payer, oui, il faut payer pour accéder à la zone d'arrivée, mais je n'avais pas mon passeport… Grande idée! Alors je suis restée là à attendre, encore et encore et j'ai fini par apercevoir Quentin. Enfin ! Mon cœur s'est serré et mon visage s'est illuminé, une douche de lumière divine s'est abattue sur moi dans ce moment de bonheur total… Oui, je sais, je deviens sentimentale ! ET ALORS ?! Diane n'était pas encore là. Le beau "pays" qu'est le Luxembourg ne délivre les visas qu'une fois arrivé sur le territoire indien. Quentin l'attendait à l'intérieur pour qu'elle ne soit pas perdue à la sortie du bureau de l'immigration. Chacun de part et d'autre de cette foutue baie vitrée gardée, nous sommes restés à nous regarder jusqu'à ce qu'elle le rejoigne enfin.


J'ai mal, donc. Mes chaussures de rando me tiennent bien la cheville mais mon pied me lance. Et chaque pas ne fait qu'empirer la situation. Le soleil décline et nous ne tardons pas à atteindre notre panorama tant espéré. J'ai le souffle coupé par tant de beauté et de pureté, à moins que ce ne soit l'ascension. De la nature à l'état brut, parsemée de temples. Les montagnes à perte de vue semblent être collées comme des silhouettes en ombre chinoise sur un dégradé lumineux de gris bleuté. Eh oui, le gris peut être très lumineux. Je ne saurais dire quel moment était le plus fort, le plus beau. La vision de rêve du midi ou ce tableau de lyrisme absolu où le soleil couchant vient enflammer la vallée. 


Dans la nuit, nous rejoignons le village. Je suis étourdie par toutes ces images, à moins que ça ne soit à cause du manque d'oxygène dû à l'altitude. Vinay nous conduit ensuite à un rooftop restaurant. Coincés sous les étoiles – Tiens, des étoiles ! - entre Shakira et des chants que crache le temple sikh d'à côté, nous dégustons une bière. Je me sens bien, je crois que je ne pouvais pas espérer un meilleur week-end d'anniversaire, ça va être difficile de faire mieux que le dîner aux chandelles dans l'Himalaya. Vinay, impatient, nous donne un aperçu ce de qu'est un rallye en montagne. 

"Il est pressé de rentrer à Delhi apparemment!" 

Perspicace, Diane ! Sans dire un mot, il nous quitte. Nous nous retranchons dans la chambre pour jouer aux tarots et boire du vin de poire… Vous ne m'en direz pas des nouvelles !

Deuxième et dernier jour de vacances, avant la folle semaine qui nous attend dans la capitale. Sans chauffeur, nous sommes obligés de nous déplacer en bus. Immersion totale dans la vie quotidienne locale. Ces vieux bus feraient passer la Socetra pour une compagnie de luxe ! – Oui, il faut d'abord connaître la Socetra pour savoir de quoi je parle ! - Le bus, déjà bondé, continue de s'arrêter à chaque bus stop, on ne sait jamais on peut sûrement en faire rentrer encore un ou deux. Les à-coups de la route nous secouent et le rap penjabi nous berce. Nous retournons prendre notre petit dèj, enfin, un brunch plutôt, à Kasauli. À la sortie du bouiboui, deux petites filles indiennes m'abordent et me demandent une photo. Quelques minutes plus tard, elles reviennent équipées d'un cahier pour me demander… un autographe ! Je suis une star habillée en souillon.



Retour au bus, direction un premier petit village à flanc de montagne. Nous poussons même jusqu'à un temple hindi et y passons un moment à discuter, surtout à propos de religion.






Il est peut-être temps que je vous parle de Nikita. D'abord elle est belle, fine et gracieuse, normal pour une danseuse. Elle est toujours très gentille et drôle mais aussi un peu fainéante avec son français. Je vous parlerai de son travail plus tard, ce chapitre est déjà trop long ! 



Son père est hindi, en tout cas d'éducation. Il n'a jamais transmis à ses enfants cette culture et mon amie trouve d'ailleurs que toutes ces histoires de divinités sont bien trop compliquées et improbables pour qu'on puisse y croire. Sa mère était catholique. Elle a donc été élevée entre les deux. Un mariage mixte qui a dû lui apporter une ouverture d'esprit certaine. Elle célèbre les grandes fêtes de ces deux religions mais n'est fidèle à aucune. Elle fait partie de cette nouvelle génération qui se détache de ce qui pourrait s'apparenter à de l'obscurantisme et s'ouvre à l'occident. En plus, de ce double héritage, son petit ami qui vit à Dubai, est musulman. Lui, semble être convaincu qu'elle finira par se convertir pour qu'ils puissent se marier. Elle, est de plus en plus sure qu'elle ne le fera pas, qu'elle ne se reniera pas ne serait-ce que sur le papier. Après six mois de séparation, ils vont se retrouver dans quelques jours, elle va rencontrer sa presque belle famille. C'est cette rencontre qui déterminera si cette histoire qui dure depuis un an peut continuer ou pas.


Dans ce bus de la mort qui nous emmène à Solan, ville champignon comme ils l'appellent, elle me raconte sa vie, ses questionnements et ses tiraillements. Cette fois je me sens plus capable de lui répondre. Un peu comme avec Parvathi, je me retrouve en elle. Sauf qu'elle est beaucoup plus canon que moi ! 

Dernière étape de cette journée. Cette petite (d'après les standards indiens) ville est accrochée à la montagne. Des immeubles ont été construits partout où c'était possible. Ils sont plantés là, défiants les lois de la gravité avec un petit côté favelas, tels des champignons agrippés à l'écorce d'un arbre. C'est donc de là que vient son surnom. Nous y restons juste le temps de manger. Vinay nous attend déjà à l'hôtel. Quentin, affamé, se commande un repas gargantuesque … Il ne va pas tarder à le regretter.Un dernier trajet en bus pour rejoindre notre chauffeur. Direction Delhi. À 80 km de notre destination finale. A 22 h, Vinay nous fait le coup de la panne, le petit coquin ! Quarante cinq minutes pour réparer une roue crevée. Changer une chambre à air à la main ça prend un peu de temps.Il est 00h29. Nous sommes arrivés à Defense Colony, New Delhi. Une dernière petite blague de Vinay, il ne va pas rire longtemps ! Diane lui tend le reste de sa paye tandis que Nikita lui explique que nous avons décidé de le payer 10 000 Rs au lieu des 12 000 prévus compte tenu de son absence. Vexé, il remonte en voiture, sans un mot ni même un regard.